@Tcepa Je te fais une deuxième réponse, parce que j'ai réfléchi à la question (qu'est-ce que le genre?) et que sans pouvoir te donner de réponse (ni vraiment pouvoir répondre à ton hypothèse, que le genre est une construction sociale) je me suis dit que ce serait intéressant de le partager.
Mon genre n'est pas lié à la façon qu'a mon corps d'être sexué. Il est vrai que j'ai été très mal à l'aise (c'est un euphémisme) dans la façon "mâle" qu'avait mon corps d'être sexué, et que j'ai très mal vécu ma première puberté. Mais maintenant que j'ai un traitement hormonal de substitution, que j'ai reçu une chirurgie de réassignation sexuelle, rien ne m'empêche de recommencer à sortir dehors et de me présenter au monde en tant que garçon si je le veux. A vrai dire, le faire me simplifierait même la vie, autant d'un point de vue administratif (pour les papiers) que d'un point de vue social (on ne m'appelle pas toujours madame). Je ne le fais pas. Je préfère qu'on me genre comme femme que comme homme, et c'est suffisamment important pour moi (je dirais même, suffisamment nécessaire) pour que j'accepte tous les dangers qui viennent quand on fait cette affirmation-là, quand on affirme au reste du monde que notre genre n'est pas celui qu'on nous a attribué à la naissance. A l'inverse, il existe plein de personnes transgenres (et plein de personnes transgenres binaires d'ailleurs) qui n'éprouvent aucun malaise avec leur corps ni aucun besoin de passer par les traitements médicaux que moi j'ai. Le genre est donc quelque chose d'indépendant de la façon dont le corps est sexué.
Mon genre n'est pas lié à une attitude ou un comportement. J'ai de la chance, mon comportement spontané concorde naturellement avec le comportement qu'on attend d'une personne de mon genre, je suis une femme et je suis féminine. Ce n'est pas le cas de tout le monde, cisgenre comme transgenre, on a même un terme pour les filles qui ont un comportement "masculin", on les appelle "garçons manqués".
Mon genre n'est pas associé à un schéma de pensée ou à une caractéristique mentale. J'ai un peu de mal à voir ce que tu veux dire par là. Mais je ne crois pas qu'il y ait de différence fondamentale de façon de penser entre les filles et les garçons et les autres genres? Et que de toutes façons c'est tellement différent d'une personne à l'autre que c'est impossible de réussir à trouver des schémas typiques d'un genre ou d'un autre, si jamais il y en a. Je crois.
Cependant, je suis une femme, et j'éprouve un réel besoin que ceci soit reconnu par les autres autour de moi. Si je peux te poser une question un peu personnelle, est-ce que tu es cisgenre, ou a tout le moins, est-ce que tu n'en as rien à faire qu'on t'appelle monsieur ou madame en fait? Il y a peut-être des gens pour qui ça n'est pas très important qu'on les genre correctement. Mais il y a plein de gens pour qui ça l'est, pour qui c'est une souffrance que de ne voir leur genre ne pas être reconnu pour ce qu'il est, de ne pas être reconnus pour qui ils sont, et qui sont prêts à faire beaucoup, beaucoup de choses et beaucoup, beaucoup de sacrifices pour obtenir cette reconnaissance. C'est mon cas. Ne pas être reconnue comme femme, voir mon genre nié ou incompris me gêne dans mes relations sociales et me bloque. Une personne incapable de reconnaître et d'accepter (to acknowledge en anglais, je n'ai pas le terme exact en français) mon genre est une personne avec qui je vais être incapable d'avoir une relation intime (dans le sens, me confier à elle, être familière, devenir amie, tout ça - au mieux, on restera des inconnues s'échangeant cordialement des politesses) voir même une relation sociale tout court (ça peut très vite tourner à l'hostilité et devenir dangereux pour moi). Et pourtant, ceci ne m'oblige en rien, ne me définit pas vraiment, ne dit rien de plus sur moi que "je suis une femme". Rien sur mes goûts, rien sur ma personnalité, rien sur ma façon d'agir ou de penser, c'est juste, je suis. C'est en cela que j'ai un genre, et en cela que mon genre est important. Je ne saurais t'expliquer pourquoi ça l'est. Mais ça l'est.
Si mon genre s'inscrit dans les relations sociales, j'ai du mal à le voir comme une construction sociale. Tout d'abord, parce qu'il ne s'agit pas pour moi d'une façon de s'exprimer, mais d'une façon d'être reconnue. Je le vois comme un élément fondamental de qui je suis, de quelque chose de donné et pas de quelque chose d'acquis. A dire vrai, ce ressenti n'empêche pas le genre d'être une construction sociale en soi. Mais il me donne le ressenti que ce n'est pas le cas.
La deuxième chose qui m'empêche de le voir comme une construction sociale, c'est l'existence des genres non-binaires. Beaucoup de personne non-binaires peinent à exprimer leur genre, et peinent encore plus à le voir reconnu, et pourtant c'est tout aussi important pour elles que pour moi (et c'est tout aussi douloureux pour certaines aussi). Que le genre soit exprimé d'une façon binaire, même chez les personnes non-binaires, n'empêche pas l'existences de genres qui ne sont pas binaires. Je pense aux neutroïs et aux personnes agenres, notamment. Je pense aussi à toutes ces personnes qui tentent d'expliquer leur genre en le comparant à une couleur par exemple, qui expliquent que dans un monde de rose et bleus, elles elles sont vertes, ou que dans un monde d'animaux et de végétaux, elles elles sont des champignons, ni l'un ni l'autre mais autre chose tout entièrement. C'est difficile de voir le genre comme une construction sociale quand toutes ces personnes ont un genre qui n'est pas reconnu par la société, qui est nié, et qui n'a ni langage ni vocabulaire pour l'exprimer, ni stéréotypes comportementaux associés comme pour les genres binaires, ni rien en fait. Et ces personnes peinent et dépensent beaucoup d'énergie et de temps à, justement, faire une construction sociale afin de pouvoir exprimer leur genre, elles inventent des mots, elles s'inventent des pronoms pour se désigner, certaines s'inventent des comportements ou des façons d'agir, ou brouillent intentionnellement les signaux qu'envoient leur corps et leur comportement pour empêcher les gens autour d'elles de les genrer de façon binaire. Et cette construction sociale-là, elle n'est pas reconnue ni comprise par la société.
A dire vrai, cela n'empêche pas non plus que le genre soit par essence quelque chose de socialement construit - je ne sais pas trop comment naît une construction sociale en fait, et comment on différencie quelque chose de complètement social de quelque chose qui n'est qu'exprimé socialement, et qui ne peut pas être compris en-dehors d'une expression sociale. L'être humain est par essence social. L'être humain a besoin de tout intégrer dans la société, en un sens. Mais voilà, sans pouvoir te donner une justification de mon sentiment, j'ai quand même le sentiment que le genre est quelque chose de donné au départ, et pas quelque chose de construit par la société.
Merci beaucoup en tous cas, tes réflexions sont intéressantes et me donnent à penser.
J'espère que ceci t'aidera à mieux comprendre comment je vois les choses, et je m'excuse de ne pas arriver à le formuler de façon moins maladroite.