quelles ont été (sont) tes différentes identités ?
J'ai l'impression d'en avoir eu cent :
- le tyran (famille et certaines copines)
- la première de la classe (école, famille, ami-e-s jusqu'en cinquième)
- l'enfant sage, gentil, timide... et parfait (jusqu'en cinquième)
- "la meilleure" (jusqu'en quatrième)
- la putain (jusqu'à très récemment)
- le boulet joyeux et sympa qui met l'ambiance (une fois avec les copines nous avons été surnommées "les morues" : lycée)
- la moche, la coincée, la débile (jusqu'en première/terminale)
- l'égoïste (ma s?ur)
- la perturbée/mal dans sa peau (ma mère et ma s?ur)
- le radin (le "crochet")
- "femme"
- et maintenant le Bisounours
(celle-là me plaît assez, quoique...)
Comment les as-tu vécues ?
Pour l'ensemble de celles que j'ai citées, plutôt mal. Le plus simple à vivre (et le plus sympa), ça a été quand j'étais perçue comme étant "en haut" dans ma scolarité : on me faisait confiance, on m'admirait, on m'estimait, le plus gros préjugé que l'on avait sur moi c'était "elle va y arriver", ou "elle a des compétences". Cela m'a permis de développer tout un tas de capacités, de qualités : en sport, à l'école, dans mes interventions orales, etc. C'était un vrai BONHEUR de vivre dans un environnement qui croyait en moi, cela me portait ! Et j'avais un réseau amical très étendu et convivial.
Concernant les autres étiquettes, il s'agissait plus de stigmatisations gratuites. Être égoïste et avare pourquoi pas, dans certaines situations c'est vrai, dans d'autres complètement faux. Le "tyran", oui, j'ai eu des comportements autoritaires et tyranniques. Cela n'empêchait pas d'avoir un bon fond.
La putain, c'était plus auprès de ma famille proche. Et ça je l'ai très mal vécu. J'ai eu droit à des réflexions et des attitudes que j'ai perçues comme étant de véritables intrusions dans ma vie sexuelle. Ma s?ur racontait à ma mère que je sortais avec des garçons plus âgés (c'était vrai) et elle insinuait que cela n'était pas normal, elle a parlé de complexe d'?dipe etc. j'avais l'épée de Damoclès SALOPE qui pendait au-dessus de ma gueule. J'ai eu des attitudes "mal" dans le sens où je baisais à tout va dans la maison familiale. O.K. j'aurais pu le faire ailleurs, car tout le monde nous soupçonnait. En même temps nous ne hurlions pas et nous ne nous exhibions pas. Un jour, ma s?ur qui soupçonnait moi et un hôte d'être "tous les deux"... est intentionnellement rentrée dans notre chambre et nous a ""dérangés""... exprès. Elle me l'a confié plus tard. Je me suis sentie dégradée et humiliée.
Aussi, je vis mal quand dès qu'il y a une personne étrangère avec une bite et des testicules dans la baraque, on me regarde en souriant puis on me lance des réflexions du genre "Caa elle draguait", alors que c'est complètement faux. Et que même si c'était vrai, je vivrais mal le fait (je l'ai déjà mal vécu) que mes jeux de séductions et ma sexualité soit ouvertement mis à plat comme ça. Cela ne regarde personne à part moi. ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE.
Je passe la fois où en pleine nuit j'étais très mal parce que j'avais prise la pilule du lendemain, et que j'ai été voir ma mère dans sa chambre. Quand elle m'a demandé "qui" je côtoyais pour avoir pris ce genre de pilule, je lui ai donné la réponse (toujours ce même garçon qui était un hôte qu'elle adorait), elle m'a regardée de haut en bas avec un air de dégoût/mépris (je n'ai jamais trop su quel sentiment dominait), et elle est partie de la pièce en me laissant avec ma gerbe et mes nausées alors que j'avais besoin d'elle et de réconfort.
Je passe les fois où elle a parlé de ma sexualité à des gens à ma place, car je deviens vraiment hors-sujet.
Ont-elles eu sur toi une quelconque influence (positive ou négative, facteur d'épanouissement dans un domaine, ou au contraire facteur d'inhibition) ? Tu t'en es servi ?
Ça dépend. Être vue comme étant "la meilleure" et entendre des parents recommander à leur gosse de suivre mon exemple (horreur), ça a été à la fois une putain d'opportunité et une malédiction. J'ai pu apprendre à croire en moi et en mes capacités de façon très forte, et à côté, je n'arrive plus à trouver la sensation d'exister si je ne suis plus au top.
Pour le reste, quand l'étiquette était négative, je pouvais y croire, me complaire dedans, et mal le vivre.
Les as-tu intégrées à ta personnalité ?
Oui.
T'en es-tu détachée ? - Si oui de quelle façon ? - Si non, elles te pèsent ou tu t'en fiches ?
Je me suis détachée de l'étiquette de "femme", mais toutes les autres me restent. J'ai l'impression que c'est indélébile. Heureusement, j'ai la chance de varier les environnements et les gens que je côtoie. C'est ma façon de m'octroyer un peu plus de liberté. Là-bas je suis ça, ici je suis ça. Le panel s'élargit, cela permet une certaine richesse !
Estimais-tu qu'elles étaient justifiées ?
Oui, non, je ne sais pas.
Enfin : quelles sont les étiquettes que tu te colles toi-même sur la tronche ?
J'ai gardé sur mon visage l'étiquette de la putain maudite et incestueuse, dont j'essaye par tous les moyens de me détacher tant elle me dégrade. Pour l'égoïsme et la radinerie, j'en ris avec mes ami-e-s, et je sais que je suis LOIN de me résumer à cela. Pour "la moche et bête", je ne me considère plus comme telle depuis que je me suis développée. Pour le "tyran", j'ai encore des comportements équivalents, mais je compose avec et les assouplis quand je le juge nécessaire. Pour l'enfant parfait, je n'arrive pas à m'en dégager (notamment vis-à-vis de ma mère). Pour la timidité, c'est no way, je côtoie de nouvelles personnes. La perturbée, je l'ai encore sur moi. En fait, toutes les étiquettes que j'ai eues, j'ai l'impression de continuer à les jouer, à les poser sur mon corps. Elles sont comme des composantes de ma personnalité. Le joyeux boulet c'était cool, je ne me considère plus comme cela. Je peux me coller les étiquettes suivantes aussi : victime, stigmatisée, incapable, faible, bête, moche (d'une autre façon) et bizarre, illégitime.
De quelle façon en tires-tu du bon ?
J'en ai tellement que j'en use et abuse à ma façon. Je trouve ça chouette de savoir que je peux être quelqu'un qui fait rire les gens, quelqu'un qui aime le sexe de façon subversive, quelqu'un qui peut être bien classé, quelqu'un qui peut être un boulet etc. Ces étiquettes agissent chacune en écho et dynamise la complexité de ce que je suis, de ce que l'on m'attribue. Qui plus est, on a cru des choses sur moi que je n'aurais jamais pu faire si on n'avait pas cru en moi. Donc j'ai pu développer des capacités. Il y a des malentendus qui peuvent être bénéfiques... Ils créent des réalités.