@destynova : (Pardon pour le combo citation-mention
Je t'avais citée dans un premier temps alors que j'ai ensuite rajouté une mention, et j'ai oublié de virer l'une ou l'autre
).
Mais ce n'est pas une question de "belle gueule" ou de refus de voir la gravité du sexisme et de la violence à l'égard des femmes (ou des hommes, ou des chatons, ou des bébés phoques). Pour ma part, je dissocie l'homme de l'artiste. J'écoute de temps en temps Noir Désir, j'écoute de temps en temps
Chœurs, (de Cantat, Humbert (16 Horsepower
), MacSween et Falaise - très certainement une des meilleures sorties françaises de cette décennie), et non, à aucun moment, je ne relie cette oeuvre à lui, à l'affaire Trintignant, au fait qu'il soit violent. Quand je suis face à une oeuvre, qu'elle quelle soit, c'est à l'oeuvre que je m'intéresse, c'est elle que j'aime ou comprend, ou non ; je ne cherche pas à cautionner la vie, les actions, les pensées de l'artiste de A à Z. Pour moi, ça ne rentre pas en compte - oui, il est coupable de meurtre, oui, il bat ses compagnes, oui, il a manifestement certains problèmes psychologiques, mais pour moi, ça ne remet pas en cause sa musique. Je ne mets pas à fouiner frénétiquement sa vie juste pour voir si oui ou non, je la cautionne, si je peux lui donner un bon point. Et ce même s'ils se sont caractérisés par leur haine ou par leur violence envers les femmes. Je peux aimer un film de Polanski alors qu'il a violé une (deux je crois d'ailleurs, non ? je ne sais plus du tout) jeune fille, et qu'il fuit son procès ; j'aime Kandinsky, et j'adore Wagner, même si je sais pertinemment qu'ils étaient antisémites ; je trouve que
Never learn not to Love est une bonne chanson des Beach Boys, même si elle a été écrite par Charles Manson.
Pire : j'aime beaucoup le travail de Theo Matejko même s'il a travaillé avec le gouvernement nazi ; j'aime beaucoup le travail des Futuristes italiens que je trouve très intéressant (dans tous les domaines d'ailleurs - excepté peut-être le cinéma) même s'ils étaient un peu en mode "Rien ne vaut une bonne guerre", position résumée avec la très célèbre formule de Marinetti : "
La Guerre est la seule hygiène au monde", formule qu'il utilisera jusqu'à l'épuisement, et même s'ils s'étaient acoquinés avec Marinetti ; j'aprécie Céline même malgré ses pamphlets antisémites. Pire, parce que ceux-là utilisaient leur art pour défendre des idées avec lesquelles je ne suis absolument pas d'accord. Pourtant, il ne me viendrait pas à l'esprit d'essayer de les rayer du répertoire de l'art. Et je vis très bien le fait d'apprécier leur oeuvre ou une de leurs œuvres. Mais cette question par contre, peut être posée : est-ce que l'art puisqu'il est expression peut rendre compte d'une haine, ou mieux vaut-il cacher cette haine, en censurant l'art ? Et si on en revient à Cantat : comme l'avait dit @titien, il ne fait pas l'apologie de la violence dans sa musique - il ne l'a pas fait en vingt ans (?) de carrière, il ne le ferait pas maintenant - donc je ne vois pas en quoi on pourrait lui interdire de continuer son activité de musicien.
De plus, il a payé sa dette envers la société : il a été jugé, il a été condamné, et il a exécuté sa peine de prison. Il a été condamné à une peine de prison ; prison qui a deux rôles, deux missions principales : maintenir la sécurité publique (par l'isolement, la punition) et réinsérer. On peut avoir un jugement sur cette peine, penser qu'elle a été trop courte, mais je ne vois pas en quoi ça devrait l'interdire de faire de la musique.
(D'ailleurs, quant à la courte durée de la peine : il faut aussi se rappeler qu'à l'époque, sa femme avait témoigné en sa faveur me semble-t-il en expliquant qu'il ne la battait pas. Et vous connaissez le truc, il n'y a pas de faits, seulement des interprétations : à l'époque on ne voyait pas en lui un mec qui battait ses compagnes dont une était morte sous ses coups, mais un mec qui a eu une violente dispute avec sa compagne pendant laquelle elle est morte - j'imagine que si le tribunal avait eu déjà à l'époque tous les éléments que l'on connaît aujourd'hui, cela aurait fortement influencé la décision de justice).
Et si je fais cette distanciation, c'est aussi parce que je dissocie totalement l'artiste de l'homme/de la femme. Dans leurs "mauvaises" (on parlait de meurtre avant, donc l'adjectif paraît faiblard, mais j'en cherchais un qui puisse tout englober, du meurtre au vol d'un euro dans le porte-monnaie de sa mamie), réprouvables (c'est peut-être mieux) actions, que dans ce qu'ils ont (ou semblent) avoir de bon. Je m'en fous que Machin-e ait l'air sympa, que Bidule soit mignon-ne, que Trucmuche adore bouffer des macarons ou ait peur des canards. Je ne cherche pas à m'identifier à quelqu'un, je ne cherche pas à fantasmer sur Bidule qui est tellement sympa qu'il pourrait devenir mon meilleur ami - non, je ne fais que "consommer" ce qu'il me propose, qui qu'il soit, quoi qu'il pense, quoi qu'il ait fait.
Le problème que tu décris, c'est surtout un manque de sensibilisation à ce qu'est la violence conjugale. C'est l'incompréhension de ce que reflète ces deux mots - la violence psychique, puis physique, qui conduit, très souvent, à d'immenses tragédies - et l'ignorance des chiffres qui se cachent derrière eux - (en France), une femme meurt tous les trois jours et un homme tous les dix sous les coups de leur compagnon/compagne (même si dans le cas des hommes qui trouvent la mort sous les coups de leur compagne, il me semble que deux tiers ou un quart (je ne sais plus), la battaient, ce qui change un peu la donne, du moins légalement parlant, parce que j'imagine que dans quelques cas, la légitime défense entre en ligne de compte). Les gens ne savent pas ce qu'est la violence conjugale : ils en ignorent le crescendo (et que non, ce n'est pas un dérapage inoffensif qui n'arrive qu'une fois le siècle, mais quelque chose qui s'installe sur la durée), ils en ignorent la violence psychologique - chantage, victimisation, l'isolement forcé, etc. - ils en ignorent les mécanismes psychologiques (du coupable, mais surtout de la victime), ils en ignorent tous les enjeux.
Parce que oui, le coup de la groupie qui explique qu'elle aimerait être frappée par C. Brown, c'est de la bêtise, mais aussi de l'incompréhension et de l'ignorance.
Il faudrait trouver un moyen de sensibiliser les gens à ce problème, de leur faire comprendre ce qu'il est réellement. On lance bien tous les deux siècles des campagnes de prévention (j'avais écris "campagnes de pub"
), mais en dehors du fait qu'elles ne restent que très peu de temps finalement dans l'espace public (affichages publics, télévision, etc.), elles n'ont finalement que peu d'impacts.
La sensibilisation idéale d'ailleurs devrait très certainement faire connaître quels sont les mécanismes et les enjeux qui se placent derrière la victime - pourquoi elle reste, pourquoi elle peut refuser de mesurer l'étendue de la violence qu'elle subit - et cela ne peut pas réellement se faire par une campagne de prévention d'un spot tv de trente secondes ou par la simple image d'un visage tuméfié. Il faudrait se diriger vers des cours, vers des documentaires passant à des heures de grande écoute (un truc très utile, vers lequel aucun téléspectateur irait, soit), une plus grande couverture dans les médias informatifs (et tous : journaux, magazines, journaux télévisés, radios, etc.).