Bien entendu, cette manière tranche à la hache. La musique qui devrait être lieu de rassemblement de tous devient celui de la ségrégation. La musique, dans toutes ses apparitions, qui devrait appartenir à tous ou à personne en particulier, manifeste de l’affrontement des individus. En ce sens la musique n’est plus rien en elle-même, sa nature est détruite.
Ainsi le jeune aime le rap, tandis que le bourgeois aime la musique classique.
La musique, de la sorte perçue, est un signe de ralliement comme peut l’être le fait de porter un blouson noir ou un gilet 3 pièces. On aime en fonction de son appartenance ou de son désir d’appartenance. Cela signifie-t-il qu’on aime ? Qu’on aime la musique ? Rien de moins sûr ! Mais, à coup sûr, cela indique que l’individu est moins libre qu’il y paraît puisqu’il s’assujettit à un clan sans autre réflexion et qu’il consent à perdre ce qu’il a décidé de méconnaître.
Pourquoi tout ceci ?
Ecoutons ce que dit Pierre-André Taguieff dans son livre La République menacée, entretien avec Philippe Petit.
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(Philippe Petit). Ces valeurs marchandes ne sont pas uniquement négatives. La culture rap, pour ne citer qu’elle, n’est pas seulement un avatar du désordre planétaire, c’est un mode d’expression qui a sa légitimité propre. Ne croyez-vous pas ?
(Pierre-André Taguieff). Je suis moins admiratif que vous, face à ces produits culturels de masse. Avec ces formes transculturelles, on sort des spécificités nationales. Cependant, les banlieues ne se ressemblent que sous certains aspects. Par exemple, en France, il y a très peu de ghettos mono-ethniques, la ségrégation ne fonctionne pas de façon ghettoïque au sens strict. Mais il est vrai que la nouvelle culture de masse est aussi standardisée que la précédente. En témoigne la relative simplicité du rap. C’est dans le simplisme que le rock a puisé sa force de diffusion et sa puissance d’attraction. Il y avait trois ou quatre accords, trois ou quatre instruments, des thèmes rudimentaires sommairement orchestrés. Une sorte de démagogie musicale. Le rap est également sommaire dans son mode de structuration : de la syncope et du contretemps (empruntés au jazz), la mélodie zéro, une rhapsodie de lieux communs et de termes jargonnés. Le tout transfiguré au travers de la nouvelle grande race : le Jeune. C’est le rappeur qui fait le rap. Mais ce qui est sommaire circule, se répète, se vend. Le rap est un drapeau des tribus égalitaires à l’âge planétaire. N’importe qui peut accéder au rap : c’est un phénomène communautaire du mimétisme culturel post national et transnational, américanomorphe. C’est aussi une mode liée à des distinctions vestimentaires, au port de la casquette… Le mimétisme afro-américain est un instrument d’autopromotion médiatique : il nourrit à juste titre l’espoir de passer à la télévision. Il ne faut pas prendre ce phénomène comme l’expression d’une tendance lourde. C’est un indicateur de ce que certaines formes culturelles, conditions et effets de la mondialisation, sont véhiculées préférentiellement par les médias : le nouveau monde de flux et de turbulences favorise l’extension de mimétisme culturel, impose certains standards de conduite, à commencer par les conduites vestimentaires, musicales - mais aussi bien alimentaires, érotico-amoureuses, humanitaires, etc.