Je vous envie sincèrement d'être optimistes et de vous réjouir face à cette unité nationale. Peut-être que c'est parce que pour des raisons personnelles je vois la vie en noir (ou gris sombre
) en ce moment, mais je n'arrive pas à m'ôter de l'esprit que tandis qu'on se réjouit de nos grands principes républicains, on perd de vue que la liberté d'expression, ça a un sens très différent selon qui en parle. Je me réjouis également que l'électrochoc de la violence se soit accompagné pour la plupart d'entre nous d'une volonté de nous rapprocher de ceux qu'on aime et de partager quelque chose de positif avec nos concitoyens, bien sûr. Mais je regarde les gens autour de moi, et je vois bien que derrière le principe de liberté d'expression et même celui de non-violence, on met des choses très différentes. J'ai l'impression qu'on a soif d'idéal comme dirait l'autre, et que ça nous rend particulièrement vulnérable aux préjugés parce que quand on s'unit pour le "bon", on tend l'oreille à une rhétorique plus manichéenne; on est déjà à moitié partis pour batailler contre les ennemis de la Nation et de la République. Alors, oui, le conflit est probablement inévitable - et à vrai dire il a déjà commencé et on est déjà engagés dedans même si on ne s'en rendait pas trop compte vu que nos civils n'étaient pas touchés - mais je suis inquiète à l'idée qu'on perde tout sens critique, et je peux pas m'empêcher de me dire que si on veut avoir une chance de résoudre un conflit, il faut essayer de comprendre quelles en sont les sources.
J'étais en cinquième en 2001, et je me souviens que ma prof d'histoire géo (que j'admirais beaucoup par ailleurs) nous a dit "je n'ai pas peur de Ben Laden, parce qu'il est fou, et je n'ai pas peur des fous". Mais moi je me dis qu'il y avait de quoi avoir peur de Ben Laden, parce qu'il tuait des gens, et que ce n'est pas en disant "il est fou" qu'on allait l'empêcher de le faire, et ce n'est pas en disant "les terroristes sont fous" ou "des monstres" ou "les ennemis de la liberté" que ça va changer quoique ce soit. On ne peut pas tuer tous les terroristes de la terre (et faut-il le désirer?) et si on ne veut pas qu'il y ait des terroristes, il faut comprendre ce qui les motive. Oui, il y a sûrement l'ignorance et la violence... Mais il y a probablement d'autres raisons pour laquelle des gens même au sein des démocraties sont écoeurés par leurs propres pays et cherchent d'autres alternatives. Alors oui "les terroristes sont dangereux", et oui "la violence, c'est dégueulasse", mais je veux être apte à voir la violence quand elle viendra de chez moi parce qu'elle deviendra beaucoup plus difficile à déceler, et je ne veux pas me soumettre à une "liberté de penser que la liberté d'expression c'est CECI ou CELA".
Je suis désolée, mes propos sont confus, mais je redoute l'instrumentalisation de nos émotions et de nos principes. J'ai peur de la violence et j'ai encore plus peur de participer à d'autres violences malgré moi, alors même si je me réjouis de voir qu'on est nombreux à soutenir les victimes de violence de notre pays, je ne suis pas totalement à l'aise et je reste sur le qui vive.
J'aimerais bien être plus optimiste pourtant, ça serait plus facile et plus agréable à vivre.