Féminisme abolitionniste et réflexions sur le "coût caché" du sexe tarifié

17 Décembre 2021
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Malheureusement, je doute qu'il y ait une solution idéale. On entend effectivement souvent que la pénalisation des clients créé un certain ascendant : c'est eux qui prennent le risque (en tout cas, de leur point de vue) et ils se sentent en position d'exiger des choses en contrepartie du risque pris/pour l'argent dépensé. Ou que cela pousse à fréquenter des endroits isolés pour ne pas se faire prendre, et donc mettre les personnes prostituées dans des situations où elles ne peuvent pas appeler à l'aide ou fuir. Et je les crois, je me rends bien compte que oui, il y a eu des conséquences négatives aussi. En partie parce que la loi a changé, mais les mentalités pas tant que ça. C'est interdit de payer pour des actes sexuels, mais il y a toujours trop d'hommes qui décident de le faire. Ce n'est pas encore suffisamment socialement inacceptable. Honnêtement, abolitionniste ou non, cela m'a toujours choqué qu'il soit plus mal vu de se prostituer que de payer pour du sexe (on voit des parents qui ont honte et ne parlent plus à leur fille parce qu'elle vend des photos de nus, mais qui sont tout au plus vaguement gêné si leur fils à recours à des rapports tarifés). Je trouve que les discours comme quoi les prostituées aiment ça, que c'est un travail comme un autre, que c'est même un travail fun, la normalisation de la consommation de porno, etc... contribuent à ce non-changement des mentalités.
Mais le fait est que la légalisation totale, l'autorisation de la prostitution comme un marché comme un autre...ben, c'est pire. Les prostitués sont toujours en grande majorité des étrangères, il y a une recrudescence du proxénétisme et du trafic d'êtres humains, avec parfois des difficultés à poursuivre ces criminels pour la police... Souvent, la légalisation entraîne une augmentation de la demande que le marché, maintenant légal, cherche à combler, soit en ayant plus de clients par jour et par femme, soit en recrutant toujours plus de prostituées. Elles ne gagnent pas forcément mieux leur vie (mais les mafieux et les proprio de maisons closes se font de l'argent en toute légalité) et elles ne sont pas subitement à l'abri de souffrir de stress post-traumatique ou de séquelles physiques.

J'ai vraiment du mal avec cette dichotomie forcée concernées/non concernées. Il y a parmi les abolitionnistes beaucoup de femmes qui sont passées par la prostitution. L'hostilité à laquelle elles doivent souvent faire face de la part de militants anti-abolition est lamentable.
Et puis, zut, ça nous concerne tous si un Etat considère que le consentement, ça se monnaye. Que ce n'est pas un problème de pousser des femmes précaires à se prostituer. De se faire de l'argent sur leur dos. Que c'est normal de payer pour du sexe une femme qui n'a pas envie de coucher avec toi.

Je tâcherais de repasser tout à l'heure avec des liens et des sources, mais il faut que j'essaye d'en trouver en français ou que je fasse un peu de traduction.
 
17 Décembre 2021
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Je repasse pour commencer avec un reportage Arte sur la prostitution en Allemagne. (Gros Trigger Warning violences physiques et sexuelles.)
Le résumé du documentaire :
Le rêve d'une vie meilleure en Allemagne conduit un certain nombre de Roumaines directement de la pauvreté à la prostitution forcée. Or, les trafiquants ne sont généralement pas inquiétés, car la prostitution est considérée outre-Rhin comme une prestation librement consentie. Le fait est, pourtant, que 90 % de ces femmes sont contraintes de faire commerce de leur corps. Comparée aux trafics d'armes et de drogues, la traite des êtres humains est une activité très rentable pour les organisations criminelles : non seulement la «marchandise» ne coûte presque rien, mais on peut la vendre autant de fois qu'on veut, jour après jour.
 
J

Jesilma

Guest
@Esturgeon
Je n'aurais pas dit mieux moi-même :
"Je suis concerné.e, j'ai été dans une situation de telle précarité et j'ai été si désespérée que j'ai failli me prostituer, j'ai juste eu de la chance que ça n'aboutisse pas, mais je ne me sens toujours pas à l'abri d'y passer un jour.

J'ai un peu l'impression que c'est le cas de toutes les femmes précaires. J'ai travaillé avec des sans-abris, toutes les femmes à qui j'ai parlé se sont prostituées à un moment ou un autre, c'est vraiment la solution d'urgence "standard". Moi c'était mon propriétaire, quand j'étais étudiante, qui m'avait bien fait comprendre que si j'avais des soucis d'argent, je pouvais payer le loyer en nature...
Même sans précarité d'ailleurs, les femmes sont vraiment élevées avec l'idée que le sexe est leur unique monnaie d'échange que ce soit contre "une promotion", "un job", ou de l'argent.
MeToo a été une révolution de ce côté là, mais ça reste vraiment ancré.
 
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Guest
Je vous rejoins sur pas mal de points.
Je me demande, pour les clients... Est-ce que vous pensez qu'en somme à partir du moment où on est client, on est un client violeur?

Je me souviens d'un copain qui me répondait, quand je trouvais dégueulasse qu'il aille voir des prostituées à Amsterdam, que ce n'était pas à lui de vérifier.
Pour le contexte, on était assez proche et il le racontait sa visite au quartier rouge. Je lui ai demandé comment il pouvait être certain que la personne était vraiment d'accord pour faire ce qu'elle a à faire. Il n'est pas resté mon copain, ça a cassé un truc. Je crois que je l'aurais encastré dans le mur.

Une copine m'a raconté en larmes que son mec avait forcé pour qu'ils aillent tous les deux voir une prostituée. Il voulait qu'elle regarde et a payé pour une sodomie. La prostituée n'était pas d'accord, ma copine non plus. Elle était gênée (je cite ma copine). L'acte a eu lieu.

Ça pose la question du consentement de manière très crue. Client violeur ? Je sais que la question choque mais si le consentement n'est jamais libre, on est obligé de se poser la question.
C'est l'enquête du Monde sur le monde du porno et les bukkake qui me fait me poser la question.
C'est impossible de ne pas voir que la personne n'y va pas par gaité de coeur, tout comme dans un porno ce n'est pas possible de ne pas voir que la fille a mal. La rationalisation qu'on fait pour se faire plaisir, elle absoud jusqu'où ?
Est-ce que les liens qu'auraient certains clients avec telle prostituée sont une légende ? Vous savez, les liens, les confidences... J'ai l'impression que oui. Une sorte de mythe patriarcal parce qu'on est d'accord que même si le cliché "pute = bon coeur" a la vie dure, la honte comme vous dîtes est toujours du même côté. Combien de ces hommes salueraient la prostituée alors qu'ils sont accompagnés par leur mère, leur voisine ou leur boss?

Édit: la différence que je fais avec le consommateur de porno "mainstream", c'est que l'un pousse au marché (valable pour les femmes) mais n'a pas la même responsabilité. Il n'est pas en train d'agir sur la femme, contrairement à la prostitution.

Par contre, précision car je parle souvent des prostituées et des actrices porno dans mes messages. Je le fais car les deux me tiennent à coeur mais aussi parce que les frontières ne sont pas du tout étanches entre les deux. Loin de là même.
 
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Jesilma

Guest
@Tu as raison.
Je pense que ça dépend... Même si le consentement est biaisée dans la prostitution en tant que système, un client, lui, peut réellement avoir cette illusion du consentement. Surtout avec tout le discours de normalisation de la prostitution et de la prostituée "heureuse de l'être". Et je pense que oui, un lien peut se créer avec le client, ça reste possible à mon sens.

Par contre faut pas déconner, si la prostituée semble en détresse, mal à l'aise, etc. c'est clairement un violeur, (le mec de ton amie... :sick:)
 
17 Décembre 2021
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Quelques chiffres sur le sujet, en France et à l'étranger sur le site du Haut Conseil à l'Egalité :
En France, 93% des personnes prostituées sont étrangères, et plus de la moitié d'entre elles ont des troubles psy (entre autres, stress post-traumatique).
Dans le monde, en moyenne, les prostituées ont commencé à 13 ou 14ans, elles ont un plus fort taux de mortalité que la normale dans leur pays et plus de la moitié souffre de troubles psychosomatiques sévères.

Cette étude menée dans 9 pays en 2003 montrait, entre autres, que :
- 71% des personnes prostituées interrogées ont été agressées physiquement lorsqu'elles se prostituaient,
- 89% d'entre elles voulaient arrêter la prostitution mais n'avaient pas d'autre moyen de subsistance,
- 68% avaient des symptômes de stress post-traumatique.

Une vidéo porno sur 8 fait référence à de la violence sexuelle (et ce en dehors de la catégorie BDSM), parmi ces vidéos violentes, 8,5% mettent en scène des adolescentes.
Comparativement aux femmes adultes, les "adolescentes" [teens] sont en moyenne cinq fois plus susceptibles d'apparaître dans des vidéos montrant un [viol anal].
Je remets également le lien de l'enquête récente du Monde sur l'industrie française du porno qui a notamment été pas mal diffusée sur Madmoizelle. Et puis deux articles de Slate qui parlent de cette même industrie en France et en Californie .
En consultant une vidéo porno, nous n'avons aucune idée de si la personne a consenti aux sexuels effectués, à être filmée, à ce que la vidéo soit diffusée largement...et si elle y a consenti à l'époque du tournage, est-ce qu'elle est toujours d'accord pour que, parfois des années plus tard, la vidéo soit encore accessible à n'importe qui et continue de rapporter de l'argent à des plateformes ?
 
17 Décembre 2021
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Double post, désolée, j'ai mis du temps à retrouver le bon lien, je ne me souvenais plus du nom.
Je voulais vous partager le travail d'une photographe qui a passé dix jours dans un bordel allemand et photographié des clients, puis leur a demandé pourquoi ils se rendaient dans des lieux de prostitution. Ces hommes sont volontaires pour la photo et pour sa diffusion, savent qu'ils sont interrogés, acceptent également la diffusion de leur réponse. Les textes sont en anglais et en allemand sur le site.
Rapide traduction française pour chacune des images :
Christian, 23 ans : "Pourquoi je paye pour du sexe ? Les femmes m'agacent, elles me stressent. Payer pour ça, au moins, c'est quelque chose. Ejaculer sur le visage coûte 50€ de plus. C'est du vrai pouvoir. Tu peux faire ce que tu veux avec la femme."
Dung, 28 ans : "Un rendez-vous amoureux, c'est stressant et ça prend du temps. Mon type de fille ? Pas asiatique, en tout cas. Certainement pas. [le gars est asiatique] Il doit y avoir une forme de connexion entre moi et la fille, comme ça c'est fun pour elle. Enfin, parfois, elles regardent leur montre dès que tu rentres dans la pièce. Là, c'est pénible."
Ingo, 43 ans : "A l'extérieur, je suis trop timide pour aborder quelqu'un. Je suis tombé amoureux deux fois d'une fille dans un bordel. C'est l'effet "bon samaritain", tu veux les sortir de là. Mais ça ne m'arrivera plus. Enfin...je retourne toujours voir la même."
Iwan, 65 ans : "Normalement, il faudrait que j'invite une femme deux fois au restaurant, ça fait 100€. Ici, au moins, ça marche tout de suite. Tu t'y habitues. La Colombienne que j'ai vu la semaine dernière était à fond. Mais elle est partie d'un coup, c'est dommage."
Guenther, 55 ans : "J'aime pas celles qui sont trop professionnelles, j'aime mieux celles qui font ça que de temps en temps. La performance est meilleure. Ma dernière m'a dit "c'était le meilleur coup de ma vie !" 50€. Le rapport qualité-prix est bon."
Joachim, 58 ans : "Quand tu viens dans un club comme ça, les femmes normales ne te conviennent plus. Sacrés personnages. Ma fille a 26 ans, je m'assure que les femmes en ont au moins 27. Il y en a beaucoup qui ont des proxénètes, ici, je leur ai vu leur donner l'argent de mes propres yeux."
Kai, 49 ans : "Normalement, j'aurais jamais des femmes comme ça. Et puis ici, parfois, je repousser les limites. C'est 100€ pour de l'anal. Je viens voir la même depuis trois ans, deux fois par mois."
Ralf, 28 ans : "La première fois que j'ai fréquenté un bordel, j'avais 17 ans. Les filles sont intelligentes, elles parlent beaucoup, ici. J'avais une copine pendant quatre ans, mais elle a tout découvert. Maintenant je suis en train de créer une plateforme pour que les clients puissent s'acheter des alibis - accident de voiture, hospitalisation, tout ce que tu veux."
Rudi, 73 ans : "Je suis marié depuis 50 ans, et heureux en mariage, mais ma femme n'est pas pareille, c'est une bonne catholique... Les filles sont sympas et propres. Je viens avec des collègues, on peut parler affaires dans le sauna."

Je répète, ils assument de dire ça avec leur tête affichée à côté, en sachant que ça sera diffusé.
 
M

Membre supprimé 360590

Guest
@Budgies
Tu as fait un gros travail, merci.
Les chiffres sont saisissants et les commentaires des clients... Ça a dû te prendre du temps mais ça va bien enrichir la base des ressources.

Le CAPP étant un collectif de survivantes de la prostitution et du porno, j'aimerais le mettre en avant mais je ne sais pas comment. Si vous avez une idée ? :fleur:

Honnêtement, je ne sais pas quoi en penser du "client violeur". C'est une question complexe car la victime peut /se sent consentante ou "accepte" le côté forcé (prendre un client). Des actes peuvent être refusés et admis comme viol par les prostituées s'ils sont forcés physiquement.Et en même temps, il y a une telle domination que la prostituée se retrouve à faire des choses qu'elle ne veut pas avec un oui de surface.
Je vais mettre du temps avant de me faire un avis, merci d'avoir partagé le votre.

+ @gingerfish

Je fais la mise à jour dès que je peux. Je modifierais le post d'intro pour mettre en avant le côté collectif des ressources.

Édit: point technique. Comment faites vous pour cacher un lien dans des mots?
 
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30 Septembre 2019
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le consentement le client ne peux jamais en être vraiment sur.Prennons l'exemple d'une coiffeuse qui un matin n'a pas envis de coiffer parce que flemme.Er bien elle va quand même le faire parce qu'elle a pas le choix.Et bien la prostitué c'est pareil.y a des moments ou c'est forcé parce que tu te dis "si je refuse j'ai de l'argent en moins"
 

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